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Climat et Volcans
28 novembre 2013

LE TEMOIGNAGE DU Dr LOUIS PECQ DE LA CLOTURE

LE DR LOUIS LEPECQ DE LA CLOTURE AU TEMPS « DU NUAGE MORTEL » DE L'ERUPTION DU VOLCAN ISLANDAIS LAKI EN JUIN 1783

Le 8 juin 1783, l'éruption du volcan islandais LAKI a commencé par l'ouverture d'une fissure longue d'une vingtaine de kilomètres. D'énormes fontaines de lave eurent pour spectateur le révérend père Jon Steingrimson qui durant 8 mois relata jour après jour l'éruption. Ce fut une éruption catastrophique qui a eu des conséquences climatiques sur tout l'hémisphère nord de la planète. Par son intensité elle produisit un nuage de pollution appelé par les anciens « le brouillards sec » qui allait séjourner de longs mois sur la France. Ce nuage était constitué principalement de dioxyde sulfurique et d'acide fluorhydrique.

A Rouen :

Le célèbre docteur Louis Lépecq de la Cloture, médecin «hippocrate normand » qui exerçait à Rouen depuis une vingtaine d'années avait été désigné par Vicq d'Azir, secrétaire perpétuel de la Société Royale de Médecine, comme médecin des épidémies de la Normandie.

Il décrit le brouillard sec :

« En juin 1783 nous avons eu au commencement du mois deux à trois jours de brouillards légers et humides... Tout a coup se sont élevés ces brouillards secs et épais presque universels en Europe. Il n'ont paru chez nous que le 21 juin au soir et ont continué jusqu'à la fin du mois....avec du vent du nord-ouest qui n'empêchait point que toutes les nuits furent chaudes et les jours orageux. Le 25 le brouillard était très fétide. Nous eûmes un orage terrible dans la nuit et le lendemain matin » « En juillet ces brouillards donnèrent de l'inquiétude pour la fleuraison du bled, car ils avaient déjà fait couler la fleur de nos vignes normandes en faisant éclore une quantité d'insectes qui dévoraient les grappes. Il y eut aussi beaucoup de chenilles dans les pommiers. Dans nos plaines les trèfles et les fourrages tendres ont été brûlés. Les mêmes brouillards ont continué jusqu'aux jours caniculaires. Ils étaient encore très épais puisqu'ils obscurcissaient le soleil et la lune... »

Les maladies constatées par le Dr Lépecq :

« A peine touchions nous aux jours caniculaires, moment où nous ont quitté les brouillards qui n'avaient pas affaibli la chaleur de l'atmosphère brûlante, moment où les maux de gorge ont disparu quoiqu'ils eussent été multipliés dans le cours de juillet et cependant fort peu dangereux. Tout à coup nos habitants (Rouen) et ceux de la campagne ont été frappés des atteintes du choléra, de secousses, de vomissements, de coliques vives, de diarrhées fatigantes. Je crois devoir rejeter encore la cause qui me paraît avoir concouru à produire les énormes irritations de l'estomac et des entrailles, c'est la mauvaise qualité de pain que nous mangeons, pain toujours «maté », mal fermenté, mal cuit. Qualité qui sans doute est le résultat des bleds mouillés lors de la récolte de 1782. Est-cette dernière cause combinée avec les grandes chaleur prolongées en août que nous avons eu la continuité des secousses nombreuses et violentes du choléra... » « Les intermittentes (sans doute le paludisme) ont présenté chez les jeunes sujets et les enfants des symptômes extraordinaires, des convulsions, des hémiplégies instantanées; des affections comateuses au moment du paroxysme et souvent pendant sa durée ». « Ainsi se terminait notre été le plus injecté des vapeurs atmosphériques et le plus fécond en maladie que j'ai vu depuis vingt ans que j'écris les maladies régnantes. Je suis en état d'attester que la contrée de Caux et du Roumois étaient dans une situation désolante par la quantité de maladies qui y régnaient. Les cantons de plaines dans ces deux contrées se trouvaient infestés des fièvres d'accès irrégulières et souvent malignes. Les paroisses les plus rapprochées des bois, des rivières étaient atteintes de coliques bilieuses et dysentériques qui s'établissaient d'une manière inquiétante.

Le scorbut :

Le Dr Lépecq constate une recrudescence d'un scorbut aigu : des rouennais qui apparemment n'étaient pas atteints de carence alimentaire, perdaient leurs dents, avaient aphtes, des plaies aux jambes et de grandes douleurs. En 1783, il écrivit un mémoire sur deux formes de scorbut : le scorbut des gens de mer et le scorbut aigu. Un de ses confrères adresse lui aussi, toujours en 1783, un mémoire sur le scorbut à la Société Royale de Médecine, dont j'ai pu consulter les archives à la bibliothèque de l'Académie de Médecine. Pendant la période le révérend père Steingrimsson, dans son journal quotidien, parle d'un empoisonnement provoqué par les retombées de cendre. Il cite le scorbut et parle des mêmes douleurs rencontrées par les rouennais, de ces gangrènes, nécroses, etc... Des recherches archéologiques récentes prouvent que les islandais ont été atteints de fluoroses, des nodules sur les ossements exhumés sont parlants. Le fluor aurait fait des victimes aussi en Normandie.

Les fièvres intermittentes ou le paludisme : Le Dr Lépecq décrit le changement climatique, il constate notamment un surcroît de chaleur étouffante et des pluies apportées par de très nombreux orages très violents. Il remarque que les fièvres intermittentes sont de retour et provoquent des comas mortels chez les très jeunes enfants. Nous savons aujourd'hui que les fièvres intermittentes peuvent être assimilées au paludisme qui était endémique dans les zones tempérées et notamment en France au cours des 17, 18e et jusqu'à la fin du 19e siècle. La Normandie avait sa part importante de « fiévreux » comme on les appelait à l'époque. Par exemple dans le quartier de Graville-l'Eure au Havre il y avait encore en 1859 une épidémie de fièvre paludéenne, cette épidémie a été décrite à l'époque par le Dr Lecoudre. Le Dr Lépecq décrit les trois phases des symptômes de la maladie parasitaire :

1-période de froid : frissons qui durent d'un quart d'heure à plusieurs heures,
2-période de chaud : le malade est en proie à une chaleur excessive, le pouls est développé, la soif vive, les urines rares.
3-période de la sueur : les symptômes perdent de leur intensité, il s'ensuit une sueur générale et abondantes.

Mais quel est donc le lien entre une modification climatique d'origine volcanique et le paludisme. Aucune en apparence. Cependant la forte chaleur et les pluies orageuses abondantes, sont les conditions climatiques idéales pour que les larves de l'anophèle, responsable du paludisme, puissent se nourrir convenablement. Le plancton dont elles se nourrissent prospère. En une phrase :  « la lave du volcan a réveillé indirectement la larve du moustique ». Il convient de souligner que les jeunes enfants (moins de 5 ans) sont les premières victimes du paludisme. Aujourd'hui il en est encore malheureusement ainsi dans les pays où sévit cette terrible maladie. En effet, le Plasmodium falciparum était à cette époque en France très meurtrier. Il attaque notamment les cellules du cerveau et provoque une encéphalopathie aiguë. Le sujet tombe rapidement dans le coma et meurt rapidement s'il n'est pas énergiquement soigné.

Hiver 1783/1784 :

Cet hiver fut très long du milieu décembre à mi-février et très neigeux puisque à partir du 2 janvier en plaine la terre a été recouverte de près de deux pieds (environ 60 cm). Des inondations sur toute la France suivirent à la fin de février. A Rouen le pont de bateau fut une fois de plus emporté. La vigne normande subit de graves dommages dont elle ne se releva pas.

Relevé de température effectuée en janvier 1784 par Le Dr Lépecq et adressé à la Société Royale de Médecine à Paris

924_-_LEPECQ_TEMPERATURE_JANV.jpg

Comme pour le reste de la France on constate en Seine Maritime que les mois de juillet 1783 à avril 1784 furent très mortifères.

LAKI_-_DECES_50_PAR.jpg

50 paroisses de Normandie ont été recensées pour les années 1773 à 1788, la mortalité des mois de juillet à avril 1784 est de plus 39 %.pour une population estimée à 161,900 habitants. La surmortalité constatée en Normandie équivaut à celle de la France. Pour une population globale de 26,500,000, après un travail de compilation de 8 mois, on peut en déduire, une surmortalité de 130,000 décès au cours des mois de juillet 1783 à avril 1784.

923_-_LAKI_-_INONDATION_ROUEN.jpg

L'importance des chiffres énoncés laisse à penser que le Dr Lépecq ainsi que ses collègues médecins ont eu beaucoup de travail pendant cette période. Le Dr dans sa « collection d'Observations sur les maladies et constitutions épidémiques » a consacré 70 pages pour traiter des maladies de l'année 1783 dans le 4e volume de sa véritable encyclopédie. Pour son immense travail il fut récompenser par le roi qui l'anoblit. Cette récompense aurait pu lui être fatale. En effet après avoir été emprisonné pendant de longs mois il fut contraint de quitter Rouen. Entre le jour de sa libération et le jour de son « expulsion »il se retira à Croisset, car étant noble il ne pouvait plus séjourner à Rouen. On ne l'autorisa même pas à revenir à Rouen pour préparer son déménagement. Il est certain que beaucoup de ses livres et documents furent perdus à jamais. Son dévouement pour soigner les rouennais fut en définitif bien mal récompensé. Et le volcan depuis 1783 continue à reconstituer ses réserves pour nous « asphyxier »dans un avenir plus ou moins proche. Ca sera beaucoup plus grave que l'interruption de la navigation aérienne pendant quelques jour en 2010.

 

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